L\'antre du Magicien

Le bal des pendus d'Arthur Rimbaud

Le bal des  pendus (XIXe siécle)

 

Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,

Les squelettes de Saladins.

Messire Belzébuth tire par la cravate

Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,

Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !

Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles
:

Comme des orgues noirs, les poitrines à jour

Que serraient autrefois les gentes damoiselles,

Se heurtent longuement dans un hideux amour.

Hurrah ! les gais danseurs qui n'avez plus de
panse !

On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !

Hop ! qu'on ne cache plus si c'est bataille ou danse !

Belzébuth enragé racle ses violons !

O durs talons, jamais on n'use sa sandale !

Presque tous ont quitté la chemise de peau ;

Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.

Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :

Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,

Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :

On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,

Des preux, raides, heurtant armures de carton.

Hurrah ! la bise siffle au grand bal des
squelettes !

Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !

Les loups vont répondant des forêts violettes :

À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...

Holà, secouez-moi ces capitans funèbres

Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés

Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :

Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !

Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre

Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou

Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :

Et, se sentant encor la corde raide au cou,

Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque

Avec des cris pareils à des ricanements,

Et, comme un baladin rentre dans la baraque,

Rebondit dans le bal au chant des ossements.

Au gibet noir, manchot aimable,

Dansent, dansent les paladins,

Les maigres paladins du diable,

Les squelettes de Saladins.

 

Poésie écrite par Arthur Rimbaud
(1854-1891)

 

Mini-biographie de l'auteur:

Jean Nicolas Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille.

 

Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à quinze ans. Lui, pour qui le poète doit être « voyant » et qui proclame qu'il faut « être absolument moderne », renonce subitement à l’écriture à l'âge de vingt ans.

 

Ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires le poussent à choisir une vie aventureuse, dont les pérégrinations l’amènent jusqu’au Yémen et en Éthiopie, où il devient négociant, voire explorateur. De cette seconde vie, ses écritures consistent en près de cent quatre-vingts lettres (correspondance familiale et professionnelle) et quelques descriptions géographiques.

 

Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait d'Arthur Rimbaud une des figures considérables de la littérature française.

 

 

 

                                                                                   

 

 

 

 

 



28/11/2012
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